Je suis Charlie ?

J'ai envie, besoin de m'exprimer. 
Et vraiment ça tombe bien : nous avons cette chance incommensurable, celle de pouvoir dire ce que l'on pense tant que cette liberté n'atteint pas celle des autres. Tant que nous ne faisons pas du mal aux autres. Tant que nous ne les tuons pas.
Parce que parler permet d'exhorciser, d'enlever de sa tête tout le mal être qui peut venir s'y loger pour une raison ou une autre. 

Alors non je ne lisais pas Charlie parce que j'avais probablement autre chose à faire et que je ne me sentais pas nécessairement concernée.
Et soudainement, un mercredi à 11h30 du matin, dans le XIè, un quartier que je connais (...), je me suis sentie concernée.
Un peu aussi parce qu'on avait touché à ce que j'ai de plus innocent, mon enfance. 
On a tué Cabu.

Parfois, au détour d'une info pioché ça ou là, je trouvais les dessins de Charlie, limite drôle, limite "trop". 
Mais jamais, je ne me serais dit qu'il fallait les censurer. Et encore moins les tuer.
Parfois aussi, les dessins m'ont fait éclater de rire.
Parce que Charlie, ce n'est pas un appel à la haine et à la violence. 
Charlie, c'est s'exprimer pour dire tout haut ce que certains pensent tout bas. 
Pour pousser à faire réfléchir. En se servant de leur art, celui des mots, celui des dessins.
Ceux qui n'y ont pas vu de second degré n'ont pas compris l'esprit Charlie.

On peut penser que Charlie allait va trop loin, qu'il provoque à l'excès. 
Ce qu'on a fait à Charlie, n'était plus de la provocation, c'est la mort à l'état brut. Dans ce qu'elle a de plus violent, de plus dévastateur.
Charlie provoque les esprits mais n'exhorte pas à aller exterminer quiconque.
Aux Musulmans qui se sentent offensés parce qu'on a représenté leur prophète : ne vous trompez pas de cible.
Un dessin ne vous fera pas mourir, la haine et l'intolérance d'un terroriste le fera.

J'ai des enfants. 
Et le rôle des parents soudainement m'est apparu sous un nouveau jour. 
En tant que parents, on voudrait les protéger de tout, du moindre bobo "naaaaan, ne monte pas si haut sur ce jeu, tu vas tombeeeeeer !". 
Oh si, monte, prends tes appuis, lance toi et sois fier de toi quand tu y parviens.

En France, ma fille a le droit d'aller à l'école. 
Ma fille aura le droit de choisir sa vie. De choisir qui elle veut aimer.
Mon fils n'est pas mis de côté. 
Mon fils a accès à l'éducation qu'on ne lui accorderait pas dans d'autres pays parce que "différent".
Ma fille aura dans ses mains, son coeur et sa tête, les moyens de faire sa propre opinion et de conduire sa vie comme elle le jugera juste.
Aujourd'hui encore plus qu'hier, en tant que parents, nous avons un rôle inestimable, donner des repères à nos enfants, des limites à ne pas dépasser dans le respect de l'autre, pour en faire des citoyens avertis, conscients de la chance qu'ils ont de vivre dans un pays libre.

Non, ce que disent papa et maman, ne sont pas des vérités absolues.
"Les autres se trompent !", effectivement, quelquefois, ils se trompent, l'erreur est humaine n'est-ce pas ?
Papa et maman aussi peuvent se tromper mais papa et maman pensent qu'une vie se respecte. Toute vie.
Ceux qui continuent de penser, oeil pour oeil, dent pour dent, n'ont toujours pas compris ce qui fait de nous des êtres humains, ce qui nous différencie  de l'animal.

A la maison, nos enfants ont le droit de dire qu'ils ne sont pas d'accord,
Mais si, tu vas te coucher, parce que demain tu seras fatigué.
Mais si, tu vas aller à l'école, pour apprendre ce que d'autres n'ont pas la chance d'apprendre.
Mais si, tu vas écouter et comprendre que chaque jour, tu apprends un peu plus pour devenir un adulte de bien, ce qui fait vivre, pas un adulte de mal, ce qui tue.
Pour ne pas faire partie d'une génération sans rêve, sans but, que l'on séduit à grand coup d'intolérance, uniquement parce qu'on leur aura donné l'illusion d'avoir une importance : celle de faire taire ceux qui ne pensent pas comme nous.

Apprendre aux enfants qu'on a le droit de penser, de se tromper, de s'excuser, d'aimer, de chanter, de rire, et même de dire caca prout, même si ça ne fait pas forcément rire les grands, etc.
Voilà notre participation à notre humanité éclairée.
Tant que mes enfants sont heureux et n'ont pas peur, je pourrais me dire que je réussis mon rôle de parent.
Pour que mes enfants libres deviennent des adultes libres, tolérants et justes.

Je suis Charlie. 
Ceux qui disent "je ne suis pas Charlie" n'ont rien compris.
Je suis Charlie, c'est dire : on ne m'empêchera pas d'être libre, de m'exprimer. 
Je suis Charlie, ça ne veut pas dire : haïssez ceux qui nous ont tué. 
Je suis Charlie, ça veut dire : le rire guérit tout, même à travers les larmes.
Je suis Charlie, ça veut dire : je suis un être humain qui pense et réfléchit, se fait son opinion, respecte celle de l'autre sans aller le frapper parce qu'il aura dit autrement que moi.

Mon fils est malvoyant. 
Et il veut être dessinateur.
Son combat à lui mérite toute mon admiration.
Et à ceux qui lui ont fait dire : mais maman dessiner, c'est dangereux alors ? 
Je leur dirais : non vous ne tuerez pas les rêves de mon fils. 
Vous n'avez fait que réveiller la conscience de l'importance de notre "métier" de parent.

Mes enfants ont marché à nos côtés ce dimanche, parce que pour nous, le message était simple : 
leur montrer que le terrorisme, le pouvoir par la terreur, ne l'emportera pas. Même pas peur. 
Nous sommes libres, de penser et d'agir dans la paix.

A ceux qui pensent qu'un troupeau a suivi en bêlant un tas de leaders voulant "récupérer" les évènements, se trompent. 
Le troupeau n'a suivi personne.
Il y avait pourtant une tête de cortège ?
Oui : la liberté et rien d'autre.

J'ai de la chance, je ne vis pas en Arabie Saoudite et ne risque pas des coups de fouet pour avoir dit ce que je pense.
Je pense à ce soldat, mort pour avoir défendu la liberté. Ma liberté.
Je pense à cet humanitaire, mort pour avoir voulu aider son prochain. 

Non l'humanité n'est pas morte. elle vient probablement de se réveiller.
Alors oui, pour tout ça, je suis Charlie.

Comments

[jobenier]

bravo! celà fait du bien de se lacher et je suis d'accord avec toi, l'éducation est primordiale , beaucoup de parents oublient le savoir vivre ,comme dire bonjour , merci , s'il vous plait ect....., ton fils sera certainemnt dessinateur car il aura la volonté de le faire , quand on a un handicap , la volonté est décuplée. j'ai aussi une fille avec un handicap, elle à une maladie neuro musculaire découverte à l'âge de 11 ans ,elle a les muscles des pieds et des mains très faibles mais elle voulait être styliste , et maintenant grâce à son courage elle l est en 1ère année de stylisme à Bruxelles et elle dessine beaucoup . Je suis Charlie

[la frog boutique]

BRAVO Bichette, je t'admire pour avoir si bien posé ces mots. <3

[Yunefoung]

Tu écris exactement ce que je pense de toute cette histoire! Merci!

[menlab]

Voilà voilà :-) Bisous

[Mojito Cerise]

Ton article est très beau et je suis entièrement d'accord avec toi. Surtout sur le rôle de parents. Je ne suis pas encore mère, mais je travaille avec des enfants dans une école primaire, et je me suis souvent rendue compte combien l'éducation est primordiale dans la société ! Bravo à toi.