Mon fils, ma bataille
Je crois que ça fait longtemps que j'ai envie de vous parler de mon fils...
Mon extraordinaire, ma lumière, mon étincelle, bref, mon fils dont je suis fière.
Je suis fière de sa soeur à égalité mais aujourd'hui, on va se concentrer sur mon fils, vous voulez bien ? ;)
Mon fils est porteur d'une maladie génétique. Identifiée alors qu'il avait déjà fêté ses 7 ans.
Depuis tout bébé, on savait qu'il y avait "quelque chose", mais on ne savait pas quoi, ni l'origine, ni les potentielles conséquences.
Le jour où j'ai rencontré la super ophtalmo qui s'occupe de mon fils comme personne ne s'est occupé de lui (ah si, son orthoptiste historique !!), elle m'a pourtant faite pleurer.
Mon bébé dans les bras, elle venait de me dire que potentiellement, mon fils pourrait devenir aveugle, mais ça ne restait qu'une hypothèse.
Au jour d'aujourd'hui, c'est à dire depuis moins de 6 mois, nous savons que ça ne sera pas le cas.
Depuis le mois dernier, nous avons la confirmation que son père et moi, sommes porteurs de ce qu'on appelle joliment "une anomalie", sauf que la somme de nos deux anomalies a donné, à la loterie génétique, un enfant qui a développé "la maladie".
Mon fils est achromate. C'est un peu comme Acrobate.
Ce mot pourrait presque être joli si il n'était pas tant source de questionnement, de doute et de difficultés pour mon grand.
L'achromatopsie, c'est très simple :
- on a un nystagmus, l'oeil va bouger de façon involontaire de bas en haut pour son cas, de façon sacadée et complètement aléatoire
- on a une basse vision, entre 1 et 2 10ème
- on est photophobe, c'est à dire qu'on est aveuglé littéralement, par une lumière neutre pour le commun des mortels, mais aggressive et douloureuse pour un achromate
- on ne voit pas les couleurs comme les autres et on entend à longueur de temps, oh mon pauvre, voir la vie en noir et blanc, c'est tellement triste...
En fait, le problème dans sa maladie, ce n'est pas la maladie, c'est le regard de l'autre. Encore et toujours.
Parce que mon fils ne mourra pas de ce gêne "fautif" en double exemplaire.
Parce que mon fils peut jouer, lire, écrire, compter, dessiner, regarder la télé, jouer sur une tablette, faire du toboggan, etc. Exactement comme tous les autres enfants.
A ceci près.
A ceci près qu'il est différent aux yeux des autres.
Et cette différence qu'on lui renvoie à la figure par des "Oh tu es une star, tu as des lunettes noires", "Oh ? mais tu es aveugle, tu as des lunettes d'aveugles", "Mais avance voyons, tu marches trop lentement !!!", "Oooh mais regarde donc !!! Tu vois bien !!!"...
Tout ce qui le touche parce qu'il voit juste moins bien que vous ou même moi.
Je voudrais tellement que tous ces mots qu'il entend depuis toujours, ne l'atteignent pas.
Mais malheureusement, on ne vit pas dans le monde des bisounours et des licornes pailletées.
La palme pour cette caissière : "Mais il faudrait peut être le faire voir par un docteur ce bébé"... Avec à son actif, scanner, IRM et autre ERG PEV complètement barbare, j'ai un peu éclaté ce jour là. Comme d'autres.
Ou cette autre caissière qui rigolait quant en réponse à son "Oh mais avec ta casquette et tes lunettes noires, tu ne dois rien voir", je venais de répondre, "Détrompez-vous, si il ne les avait pas, c'est là qu'il ne verrait pas". Elle rigolait bêtement parce qu'elle nous trouvait complètement débiles...
Bien souvent, les gens m'ont faites bouillir sur place.
A tort. Parce que les gens sont souvent bêtes et font des réflexions de personnes qui ne réflechissent pas plus loin que le bout de leur pauvre nez.
Et que je leur ai bien souvent porté trop d'importance.
Oui mais voilà, toutes ces paroles touchent mon enfant et me broient le coeur, parce que toujours dites devant lui comme si il n'était pas là.
Comme si on lui manquait de respect, lui qui s'inquiète toujours pour les autres et ne supporte pas d'entendre qui que ce soit être triste ou pleurer.
Comme cette ophtalmo (oui oui, il paraît qu'elle avait le diplôme) loin sur cette île du Pacifique, qui a osé dire devant mon fils qu'il y voyait, et qu'il faisait semblant.
Il arrive encore que mon fils pleure parce qu'il se souvient qu'un docteur a remis en question sa sincérité.
Dommage pour ces personnes, elles ne voient pas que mon fils :
- adore dessiner, qu'il m'épate tellement ses détails sont réalistes et adorables
- qu'il prend des photos que je serais incapable de prendre, parce qu'il a son propre regard, une sensibilité de malade et qu'au fond de lui, c'est un artiste
- qu'il écoute les notes qu'il aime comme personne, qu'il réclame d'écouter telle ou telle musique parce qu'elle fait du bien, qu'il est capable de dire en écoutant une musique de film exactement ce qu'il se passe à ce moment là, si elle est triste, si elle est gaie,
- qu'il apprend la musique qui lui apporte tellement jour après jour
- qu'il aime les animaux et surtout les chiens, et qu'un jour il aura un dalmatien, parce c'est ce qu'il voit le mieux, le noir et le blanc, le contraste
- qu'il sait lire quand on lui met les mots à sa portée, en agrandi, en contrasté, en mettant les intonations, en vivant l'histoire bien mieux que beaucoup de ses camarades qui voient parfaitement
- qu'il est curieux de tout, qu'il nous pousse sans arrêt à chercher dans les livres, google ou n'importe où, des infos sur tout et n'importe quoi, parce qu'il veut savoir et comprendre, les dinosaures, les Egyptiens, la mythologie grecque, sur comment ça marche l'univers !!!!
- qu'il est bourré de qualités et d'attention pour les autres et tant d'autres choses que je garde précieusement pour moi, parce que c'est mon trésor, mon précieux et que finalement, je ne veux pas qu'on me le prenne.
Ma plus belle richesse, mes enfants.
Et mon fils est tellement fort qu'il ne se rend pas compte à quel point, sa maladie lui apporte tout ce qui fait défaut à toutes ces personnes :
il voit avec son coeur, tellement mieux que quiconque.
Bien sûr, nous sommes chanceux, non, mon fils n'a pas une maladie grave, il est même très intelligent et a adopté des tas de stratégies de compensation qui font même dire aux gens "mais il voit en fait !".
Bien sûr qu'il y voit "en fait". Mais à 2 10ième en terme médical, à sa façon, toujours. En développant ses autres sens y compris sa perception du monde qui l'entoure.
Il est un peu différent des autres enfants ? Il court bizarrement, il est prudent, il se rapproche beaucoup, il fronce le nez parfois pour se concentrer sur ce qu'il voudrait voir ?
Il est malvoyant messieurs-dames, et il en a ras la casquette de devoir toujours expliquer aux gens qu'il voit moins bien certes, mais qu'il entend parfaitement et que tous les mots qu'on prononce quand il est là, il les comprend parfaitement et souvent, lui font mal...
La prochaine fois que vous verrez quelqu'un un peu différent, dites-vous qu'il est humain, juste humain.
Et qu'il ne mérite pas votre regard interrogatif, distant, méfiant. Et encore moins les paroles qui vont avec.
D'après l'oeuvre d'Isabelle Carrier :
La petite casserole d'Anatole- Pils Mc
La petite casserole d'Anatole - Eric Montchaud
Avec une immense pensée pour un artiste achromate qui nous aura aidé
et nous aide encore de façon très personnelle
et me pousse à bosser mon anglais pour pouvoir échanger avec lui (sic !) :
L'auteur de cette magnifique chanson :
An Achromat's Tale
Strangely boasting lust for my survival
Reminding myself yet once again
The spoils of long fought, long ago won battles
Will stay with me until the end
[cho]
If you see in me a something strange whatever
Don’t be afraid to find I’ve got myself together
Don’t even think you’ve got me figured out
You might find under certain circumstances
That your assumptions may be cast in doubt
When you’re the object of the strangest glances
With nothing left to gain
Nothing left to gain
Ordinary quite contrary
Achromatic visionary me
Fingers open, revealing something secret
Skilled and subconscious sleight of hand
Fun and fearful dance around the spectrum
Deciphered that I might understand
repeat [cho]
A very personal song. I am partially sighted, suffering from a congenital condition known as achromatopsia. I have no color perception, an extreme sensitivity to light and no depth perception. The condition itself is exceedingly rare--one in every 33,000 births. I've only met two people in my life who have it, and when I wrote this song in 2000, I hadn't met anyone yet. Life can be hard, but I wouldn't trade what I've learned from being who i am for anything in the world. That's what this song is about.--kk